Les contre-enquêtes
C'est qu'un certain nombre de contre-enquêtes ont été menées par quelques journalistes. Elles mettent toutes le doigt sur des incohérences dans les conclusions de l'information judiciaire, de nature à réfuter la thèse du suicide.
Fabienne Boulin, la fille, a répertorié pas moins de 75 anomalies dans le traitement de l'affaire :
À propos des menaces de mort, Jacques Paquet, ancien chef de cabinet de Robert Boulin, témoigne de menaces très précises venant de membres du SAC dirigé par Charles Pasqua, conseiller influent puis Ministre de l'intérieur de Jacques Chirac, lors du passage de Boulin au ministère de l'Économie et des Finances (de mars 1977 à mars 1978).
Or, ces menaces écrites adressées à Robert Boulin, conservées par son inspecteur de police, n'ont jamais versées au dossier.
De multiples témoignages font également état de menaces physiques à l'encontre du ministre.
Mais aucune ne semble a été examinée ou prises au sérieux par un juge.
À propos de la nouvelle de la mort, Jacques Douté, un proche de Robert Boulin alors en compagnie de deux personnes, reçoit un coup de téléphone le 29 octobre 1979 (la veille), vers 20 h 00 à son restaurant de Libourne lui indiquant qu'« il est mort ».
Cette version est confirmée par Bernard Sube, photographe pour le Conseil Général de Gironde.
Guy Aubert, collaborateur du ministre, est allé vers 20 h 00 le 29 octobre 1979 (la veille) au domicile de Robert Boulin et déclare tout de go à Colette Boulin, l'épouse : « Robert est mort ».
Le chef de cabinet de Robert Boulin, accompagné d'Éric Burgeat, conseiller technique et gendre du Ministre, signalent peu après minuit au ministère de l'Intérieur, puis à Matignon la disparition du ministre.
Or, d'après le dossier pénal, les premières recherches sont lancées le 30 octobre à 6 h 25 du matin et le corps n'est retrouvé qu'à 8 h 40 par une brigade de gendarmerie.
Pourtant, dès 2 heures du matin, l'information de la découverte du corps remonte au sommet de l'État : Yann Gaillard, directeur de cabinet de Robert Boulin, est convoqué à Matignon vers 2 h 00 du matin par Philippe Mestre, directeur de cabinet du Premier Ministre.
Celui-ci reçoit, devant Yann Gaillard, un coup de téléphone.
Après avoir raccroché Philippe Mestre confie : « On a retrouvé le corps ».
Une version fermement démentie par Philippe Mestre lui-même...
L'ancien Premier ministre Raymond Barre, écrit pourtant dans son livre « L'expérience du Pouvoir », avoir été prévenu vers 3 h 00 du matin « que l'on a retrouvé le corps de Boulin dans un étang de la forêt de Rambouillet » et que le ministre s'est donné la mort en se noyant après avoir avalé des barbituriques.
Christian Bonnet, Ministre de l'Intérieur de l'époque affirme avoir été alerté lui aussi de la mort de Robert Boulin « entre 2 h 00 et 3 h 00 du matin ».
Marie-Thérèse Guignier, administratrice de biens judiciaires, ex-membre des cabinets ministériels de Robert Boulin et intime des milieux gaullistes, est réveillée dans la nuit du 29 au 30 octobre 1979, entre 1 h 30 et 2 h 00 du matin, par un ami proche, Louis-Bruno Chalret, à l'époque Procureur général près la Cour d'appel de Versailles.
Chalret lui apprend que l'on a retrouvé le corps de Robert Boulin dans les étangs de Hollande.
« Et là », déclare-t-elle, « il se couvre, il appelle tout le monde sur le REGIS (le réseau téléphonique interministériel de l'époque), c'est-à-dire l'Élysée, Matignon, probablement l'Intérieur et la Chancellerie ».
Lié au SAC et aux réseaux Foccart, Louis-Bruno Chalret s'est immédiatement rendu sur place avec une équipe d'hommes sûrs : « On a tout fait minutieusement, comme il fallait. J'ai tout surveillé. Rien n'a été laissé au hasard », dit-il à Marie-Thérèse Guignier, en qualifiant cette affaire de « truc à emmerdes ». Son amie résume ainsi le rôle actif qu'il a pu jouer cette nuit là : « Il était l'homme qu'il fallait pour ce genre de choses ».
Victor Chapot, proche conseiller du Président de la République de l'époque « VGE à la Barre », déclare, lui, avoir appris la mort de Robert Boulin à 9 h 00 du matin par un coup de téléphone d'Henri Martinet, un ancien collaborateur du ministre.
Il se serait alors « précipité chez Giscard qui apprend la nouvelle au téléphone au même moment ». VGE, dans son livre de mémoires « Le pouvoir et la vie », dit avoir appris la mort de son ministre à 11 h 30 du matin...
À propos du corps, retrouvé bouche fermée, ce qui irait à l'encontre d'un suicide par noyade, les enquêteurs ne s'intéressent pas à la position en « coffre de voiture » du corps, avec les jambes légèrement repliées et un seul bras levé, dont les rigidités semblent cassées.
Les partisans de la thèse du meurtre relèvent aussi que l'absence de vase et de boue sur le bas du pantalon et sur les chaussures indiquant que Robert Boulin n'a pas pu entrer dans l'étang par ses propres moyens. Selon Madame Anzani, les pompiers ont traîné le corps sur le sol ce qui aurait eu pour effet de nettoyer le tout.
Une boucle d'une des chaussures du ministre est d'ailleurs manquante et ne sera jamais retrouvée.
Le gilet de Robert Boulin est entièrement décousu dans le dos mais les vêtements ne seront pas analysés durant l'enquête préliminaire.
Le portefeuille est resté sec, mais aucune information ne fut donnée sur l'endroit où il a été retrouvé.
Il semble d'autre part anormal que le corps, une fois ramené sur la rive, ait été déplacé avant que les premières constatations n'aient été faites par un Médecin-légiste comme c'est la procédure habituelle en pareilles circonstances.
À propos de la voiture, il est à noter que son toit est légèrement ouvert alors que les portes sont fermées à clé.
La voiture est sale et couverte de boue. Pourtant, elle se trouve non loin d'une route départementale et dans un chemin empierré, non boueux.
Georges Restoueix, garde forestier responsable du secteur nord de la forêt de Rambouillet de 1971 à 91, officier de réserve, certifie qu'à l'époque un colonel à la retraite lui a confié avoir vu, vers 23 h 00 le 29 octobre 1979, au bord de la route, sur le terre-plein au dessus de l'Étang Rompu, la voiture du ministre. Bien que celle-ci ait été retrouvée curieusement en contrebas.
Divers éléments ne seront pas analysés : une tâche suspecte sur le tapis de sol, des traces de doigt sur la carrosserie, des mégots de gauloises alors même que le ministre n'est pas fumeur.
Un dossier portant la mention « à n'ouvrir que sur ordre formel de ma part » est retrouvé vide dans la voiture du ministre.
Frédéric Mesnier, beau-frère de Bertrand Boulin, explique que le véhicule du ministre « avait été réparé sur l'aile arrière-gauche, ainsi que d'une partie de la jupe arrière », alors qu'officiellement, la Peugeot 305 de Robert Boulin n'a jamais été accidentée.
Quand la voiture est rendue à la famille, celle-ci retrouve des cassettes de dictaphone sous la banquette arrière de la voiture, malgré la fouille préalable de la voiture lors de l'enquête.
Du courrier banal...
L'autopsie pose aussi problème : Les photographies de l'identité judiciaire révèlent que Robert Boulin porte une entaille à la limite du poignet et de l'avant-bras droit.
Or, il a été démontré que celui-ci ne s'était fait aucune blessure à cet endroit jusqu'au départ de son domicile.
Ce fait n'a pas donné lieu à une analyse ou une expertise.
L'ordonnance de non-lieu ne fait pas non plus état de cette blessure.
L'ancien assistant des légistes bordelais ayant procédé à la deuxième autopsie du corps de Robert Boulin, le 16 novembre 1983, confie avoir été « surpris » et « choqué » par ce qu'il a clairement identifié comme une « trace de corde circulaire au poignet droit » de Robert Boulin.
Il a également vu « un hématome derrière la boîte crânienne » du ministre : hématome gélatineux, bleuté, qui n'était pas un dépôt cadavérique.
Selon lui, cette « face postérieure aplatie » ne peut pas s'expliquer par la position dans le cercueil. Sa conclusion est : « Pour moi, il a été assommé ! ».
Par ailleurs des épistaxis (saignements de nez) sont constatées à la sortie du cadavre de l'eau, ce qui serait la preuve de coups portés antérieurement à la mort.
La seconde autopsie découvrira des traces de violence. Pourtant, aucune trace de sang n'aurait été constatée ni sur le costume, ni sur les lieux de la découverte du corps.
Les circonstances ne sont pas non plus très cohérentes : Un bristol est retrouvé sur le tableau de bord de la voiture. Il y est écrit : « embrassez éperdument ma femme ».
Aucune recherche d'empreinte sur le bristol ne sera effectuée.
Il est aussi indiqué sur le bristol « la clé de ma voiture est dans ma poche droite » mais la clé est pourtant retrouvée par terre non loin de la voiture.
Par ailleurs, quand Robert Boulin quitte, pour la dernière fois, son domicile vers 15 h 30, la corbeille à papier sous son bureau était vide.
Pourtant, au début de la nuit, la famille retrouve dans cette même corbeille des papiers déchirés annonçant le suicide.
Le 29 octobre au soir, de nombreux « collaborateurs » et relations du ministre débarquent au domicile des Boulin et passent dans le bureau personnel du ministre.
Notamment Guy Aubert, Roger Thiery et Patrice Blank, que Robert Boulin avait chargé des contacts avec la presse.
L'enquête préliminaire ne jugera pas utile de les auditionner.
Aucune audition ne pourra être faite des policiers en faction devant le domicile de Neuilly de Robert Boulin.
Quand le juge Corneloup a décidé de rechercher ces policiers pour les interroger afin de reconstituer précisément les allées et venues au domicile de Robert Boulin dans la soirée du 29 octobre, une fois prouvée la présence de ces policiers en faction 24 h sur 24, ce sont les registres de présence du commissariat de Neuilly qui ont disparu.
Quelques jours après la disparition de Robert Boulin, toutes les archives du ministre entreposées à son domicile-bureau de Libourne sont transportées aux fins de destruction dans un établissement libournais spécialisé.
Ce qu'a longtemps ignoré la famille...
À propos des courriers, Robert Boulin écrit le 29 octobre une lettre, constituée d'éléments de son dossier sur la défense de Ramatuelle.
En fin de matinée, il envoie son officier de sécurité, l'inspecteur Autié, remettre ce document en main propre à Monsieur Patrice Blank, son conseiller pour la presse, et Maître Alain Maillot, son avocat.
Ces deux lettres ne seront réclamées que des années plus tard par la justice.
La lettre dite posthume, comportant quatre feuillets, reçue par plusieurs destinataires (Alain Peyrefitte, Gérard César, Jacques Chaban-Delmas, Pierre Simon) reprend pour l'essentiel un argumentaire sur l'affaire de Ramatuelle.
La première phrase de la première page, « j'ai décidé de mettre fin à mes jours » est décalée horizontalement et verticalement du texte.
Or cette phrase, ainsi que les quatre dernières lignes, elles-mêmes isolées sur un dernier feuillet séparé, sont les seuls passages de la lettre à faire référence à une intention suicidaire.
L'original de ces lettres dites posthumes est resté introuvable.
Françoise Lecomte, ancienne secrétaire du ministre, témoigne que le jour même de sa mort, le 29 octobre 1979, Robert Boulin lui fait taper une lettre qui ressemble mot pour mot à la lettre posthume attribuée, un peu plus tard, au ministre, excepté les mentions suicidaires du début et de la fin.
Toutes les lettres sont des photocopies à l'exception de quelques mots manuscrits et de la signature.
Les lettres dites « posthumes » sont tapées sur un papier à en-tête obsolète du « Ministère du Travail » que Robert Boulin n'utilisait plus à cette époque, ayant à sa disposition le nouveau papier à en-tête du « Ministère du Travail et de la Participation ».
Il est toujours possible qu'il ait gardé l'ancien papier comme brouillon. Mais pourquoi diable ?
De même, le rouleau encreur de la machine à écrire du bureau de Robert Boulin, où aurait pu être tapées ses lettres dites posthumes, ne fut pas saisi immédiatement.
L'inspecteur qui interroge Éric Burgeat, le 30 Octobre 1979, tape sa déposition sur la machine du ministre. Elle ne sera saisie que plus tard et disparaîtra dans les locaux de la police judicaire sans avoir été analysée.
La version du suicide, selon Fabienne Boulin-Burgeat, fille de Robert Boulin, est établie par les auditions selon laquelle le corps du ministre portait des traces de coups. Dès lors, « preuve est faite » que des preuves ont été dissimulées avant l'enquête judiciaire.
« De nouveaux témoignages confirment que Robert Boulin a été assassiné, victime d'un complot politique. (...) Nous ne cessons de rassembler les preuves tangibles que mon père a été assassiné et je vois mal comment la justice de la République pourrait continuer à les dénier », a-t-elle déclaré le 16 avril 2007.
Le journaliste Philippe Alexandre ne croit plus aujourd'hui à la thèse du suicide : « C'est une affaire vraiment TRÈS politique » dit-il. « L'élimination de Robert Boulin est un fait politique extrêmement important. Et ça, j'ai mis du temps à m'en apercevoir. ».
Maurice Robert (décédé le 9 novembre 2005), ancien membre du SDECE, proche de Jacques Foccart, l'homme des réseaux africains de Charles Pasqua, chargé du service « Afrique » chez Elf-Aquitaine, ambassadeur au Gabon en novembre 1979, estime qu'il s'agit de l'« un des crimes les plus mystérieux. La version du suicide ne tient pas la route, » dit-il. « Boulin a été tué. Assassiné. Dans cette affaire, il y a des gens tout à fait douteux. ».
Les faits rapportés par les autorités aussi semblent marqués du sceaux de la « manip ».
Rappelons que Robert Boulin était aussi né le 20 juillet 1920 à Villandraut en Gironde
Résistant, il entre en 1941 dans le « réseau Navarre » dont il deviendra le chef.
En 1943, il est engagé volontaire.
Il sera décoré de la Croix de Guerre (39/45) et de la Médaille de la Résistance.
Licencié en lettres et en droit, il devient après guerre avocat à Bordeaux avant de s'installer à Libourne.
Un « Gaulliste historique », il entre en politique après guerre, il sera conseiller des républicains sociaux mais débute vraiment sa carrière en 1958 quand il devient député UNR de la Gironde, puis maire de Libourne un an plus tard.
Il sera constamment réélu député et maire jusqu'à sa mort.
Il va aussi exercer des fonctions ministérielles pendant plus de quinze ans en étant ministre ou secrétaire d'état sous les présidences du Général, de Pompidou puis de « VGE à la Barre ».
Sous De Gaulle, il est souvent le seul ministre qui se rend au Sénat lorsque De Gaulle entend punir la Haute Assemblée pour les positions de son président Gaston Monnerville qui s'oppose à l'élection du président de la République au suffrage universel (référendum d'octobre 1962).
Il a été membre du Bureau national du Mouvement pour l'Indépendance de l'Europe et vice-président de l'association « Économie et Progrès ».
Robert Boulin est souvent présenté comme un homme intègre avec une grande capacité de travail et apprécié de l'opinion publique.
Maire de Libourne de 1959 à sa mort, député de la 9ème circonscription de la Gironde de 1958 à son décès, Conseiller régional d'Aquitaine de 1973 à sa disparition, il aussi assumé les responsabilités et fonctions de Secrétaire d'État aux Rapatriés dans le gouvernement de Michel Debré du 24 août 1961 ;
Secrétaire d'État aux Rapatriés dans le gouvernement de Georges Pompidou du 14 avril 1962 ;
Secrétaire d'État au budget dans le gouvernement de Georges Pompidou (cabinet remanié) du 11 septembre 1962 ;
Secrétaire d'État au budget (2ème cabinet Pompidou) le 6 décembre 1962 ;
Secrétaire d'État au budget (3ème cabinet Pompidou) le 6 décembre 1966 ;
Secrétaire d'État à l'Économie et aux Finances (4ème cabinet Pompidou) le 7 avril 1967 ;
Ministre de la Fonction Publique (5ème cabinet Pompidou remanié) 31 mai 1968.
Puis Ministre de l'Agriculture dans le gouvernement Couve de Murville le 12 juillet 1968,
Ministre de la Santé publique et de la Sécurité sociale dans le gouvernement Chaban-Delmas le 22 juin 1969,
Ministre délégué auprès du Premier Ministre, chargé des relations avec le Parlement dans le gouvernement Messmer le 6 juillet 1972,
Ministre chargé des relations avec le Parlement dans le gouvernement Ba-barre-iturique) le 27 aout 1976, Ministre délégué à l'Économie et aux Finances (2ème cabinet de Ba-barre-iturique) le 30 mars 1977.
Ministre du Travail et de la Participation (3ème cabinet Barre) avril 1978, mort en fonction « suicidé-noyé dans une marre de boue de 50 cm !
Ce destin est symptomatique : Dès 1979, on a appris que, comme en Suède avec Olof Palme, il fallait craindre, car ILS pouvaient tuer...
Mais on ne saura jamais ni qui ni pourquoi.
C'était le début de nouvelles mœurs politiques dans notre beau pays de « Gauloisie pacifiée »
Hommage soit rendu à sa mémoire et à sa famille.