Chapitre II – Les revenus d’une activité salariée du point de vue de la loi fiscale
Si la loi, et son interprétation jurisprudentielle, s’attache à constater un contrat de travail dès lors que trois éléments sont réunis (fourniture d’un travail, contre une rémunération, sous l’emprise d’un lien de subordination), la matière fiscale va s’en emparer pour soumettre à l’impôt sur le revenu toutes les sommes réputées être versées comme d’un salaire.
Nous l’avons vu au chapitre précédent : d’une façon très pragmatique, les parties versantes sont tenues à trois déclarations annuelles récapitulatives. Les sommes inscrites dans la DADS sont censées être issues d’un contrat de travail. Les sommes inscrites dans la « DAS 2 » sont réputées être autre chose que des salaires. Et celles inscrites dans la déclaration n° 2466 sont réputées être des pensions (traitées comme des salaires en matière fiscale).
Nous noterons que ces obligations déclaratives sont d’origine fiscale, même si les URSSAF et d’autres organismes sociaux vont également s’en nourrir.
D’où une forte convergence de fait entre les deux matières (encore qu’il ne faille pas confondre la cause et les effets en ce domaine).
Car si en matière sociale on travaille nécessairement soit sous le régime des salariés, soit sous le régime des « non-salariés », mis à part le régime des MSA (Mutuelle Sociale Agricole), en matière fiscale, il est le régime des « traitements et salaires » d’un côté[1] (et assimilés comme les pensions, retraites et rentes viagères versées à titre gratuit) auquel on peut rattacher, au moins partiellement, celui de certains dirigeants sociaux[2]. Bref, toutes sommes déclarées par autrui permettant l’émission de « bulletins de recoupement » pour chaque foyer fiscal.
Et de l’autre, il est celui des « non-salariés » qui sont soit imposés sous le régime des Bénéfices Industriels et Commerciaux[3] (« BIC ») qui regroupe les commerçants, les industriels et les professions artisanales, soit le régime des Bénéfices Non Commerciaux[4] (« BNC »), « cédule-balai », qui regroupe tout le reste, des professions libérales à des situations parfois inattendues, hormis les activité agricoles, les Bénéfices Agricoles[5] (dit « BA »).
Autrement dit, le droit fiscal, toute « théorie de l’autonomie du droit fiscal » bue jusqu’à la lie, considérera comme salarié tout contribuable dont la rémunération trouve sa source dans un contrat de travail, écrit ou verbal, qualifié de près ou de loin, par la loi ou le règlement, de « salaire, traitement ou pension ».
Rappelons nos développements du chapitre Ier : Juridiquement, le contrat de travail se caractérise par l’existence d’un lien de subordination entre l’employeur et l’employé et par l’impossibilité pour celui-ci de réaliser un gain en dehors du salaire, prix convenu de ses services[6] en contrepartie de son « ouvrage ».
Or, la notion de subordination juridique qui caractérise l’activité salariée repose en fait sur l’autorité de l’employeur qui nomme et révoque le salarié, donne les directives concernant l’exécution du travail, en contrôle l’exécution et en vérifie les résultats.
Il ne constitue pourtant pas un caractère exclusif, le mode de rémunération est un élément d’appréciation important.
Ce sont donc les conditions dans lesquelles l’activité est exercée qui doivent être prises en compte, et non la nature de l’activité.
À cet égard, reste sans influence la circonstance que l’activité d’une personne soit de même nature que celle exercée généralement par des membres des professions libérales. La qualité de salarié est reconnue si elle est placée dans un état de subordination par rapport à la collectivité, au cabinet ou à l’entreprise qui utilise ses services.
Toutefois, dans sa grande sagesse, le législateur trace des frontières entre « cédules » légèrement différentes de ce qu’elles sont en droit du travail.
On peut le répéter, dès lors que les sommes sont obligatoirement déclarées par autrui, le fisc n’a plus de difficulté à réaliser quelques assimilations.
Les unes sont spécifiques (Section I), soit à la loi qui règle d’autorité le conflit d’appartenance « cédulaire », soit font appel à l’interprétation des lois civiles, commerciales ou du travail.
Alors que d’autres (Section II) résolvent des cas particuliers soit en application d’un texte « d’autorité », soit d’une interprétation jurisprudentielle, soit de source doctrinale.
Section I – Activités qui ressortiraient normalement d’autres cédules que celle des traitements et salaires
Il est deux types d’activités qui classiquement relèvent normalement soit des actes de commerce (Sous-section I) ou des activités libérales (Sous-section II), ou autres vont pourtant être peu ou prou assimilées à des salaires.
Sous-section I – Les activités commerciales fiscalement traitées comme des salaires.
Acheter pour revendre pour son propre compte relève de l’activité commerciale, voire artisanale ou industrielle quand il s’agit de transformer l’état de la chose revendue.
La distinction entre artisan et industriel n’a d’intérêt « fiscal » que pour les impôts locaux (ex-taxe professionnelle) et quelques dérogations spécifiques. Par contre elle en a pour toutes sortes d’obligations légales diverses et emportera soit la compétence des chambres de métiers, soit celle des chambres de commerce.
Mais ce n’est pas notre sujet.
Le Code du commerce répute également commerciale d’autres activités qui supposent une nette indépendance. Même si la loi fiscale (et sociale : cf. Chapitre III) assimile ces situations à du « salariat ».
Cette ambivalence n’est même pas vécue comme une spécificité propre à la matière fiscale (et sociale).
§.1 – Les mandataires sociaux
Vous vous rappellerez naturellement que le Directeur Général auquel un Conseil d’Administration avait confié les mêmes pouvoirs que le Président de la société, exerçait en toute indépendance et dès l’origine des rapports entre les parties, les pouvoirs relevant d’un mandat social de directeur général, ne recevant ni ordre ni directive. Il ne pouvait se trouver dans une situation caractéristique de l’existence d’un contrat de travail[7].
Alors que la loi fiscale va les assimiler à des salariés presque comme les autres, mais parfois avec quelques nuances.
§.1.1 – Les mandataires sociaux de sociétés commerciales
§.1.11 – Les administrateurs de sociétés anonymes, membres du directoire
La loi fiscale considère de façon irréfragable comme des salaires[8] :
– Les sommes perçues en tant que Président Directeur Général, Directeur Général, administrateur provisoirement délégué ou membre du Directoire, qu’il s’agisse de traitements fixes ou proportionnels ou de jetons de présence spéciaux.
Par contre, la fraction des jetons de présence qui n’est pas déductible des résultats de la société est imposée entre les mains du bénéficiaire en tant que revenu mobilier ;
– Les sommes perçues par les administrateurs lorsqu’ils sont chargés de missions, mandats ou autres prestations présentant un caractère salarial.
Sont également considérés :
– Comme des salaires les sommes versées par la société qui n’a pris aucun engagement formel quant au montant exact de la rémunération du dirigeant, correspondant à un travail effectif[9] ;
– Alors que les jetons de présence alloués à tous les administrateurs en tant que simples membres du Conseil, ainsi que les jetons spéciaux alloués aux administrateurs en leur qualité de membres du comité d’études (ou consultatif), sont traités comme des revenus mobiliers.
Il en est de même des rémunérations allouées au Président et au Vice-président d’un Conseil de surveillance ;
– Les honoraires alloués à tel ou tel administrateur en rémunération d’un travail occasionnel non salarié sont considérés eux comme des bénéfices non commerciaux.
Notez qu’en revanche, un « salaire » jugé somptuaire ou excessif, ou n’ayant pas en contrepartie un travail effectif, sera systématiquement rejeté par l’administration fiscale quant à sa déductibilité des résultats imposables d’une société et du coup considéré comme une « distribution de résultat ».
Ce qui change le sort fiscal de la somme rejetée chez la partie versante (on ne déduit pas un résultat distribué du résultat imposable) et chez le récipiendaire (pas d’abattement pour frais et à une certaine époque, pas d’abattement de 20 % propre aux salaires et pensions, aujourd’hui disparu).
§.1.12 – Les gérants de SARL soumises à l’IS
Qu’ils soient ou non associés, ces gérants relèvent de la catégorie des traitements et salaires lorsqu’ils sont minoritaires ou égalitaires, ou bien des revenus des gérants ou associés lorsqu’ils sont majoritaires (Art. 62 du CGI)[10].
§.1.13 – Les exploitants individuels ou associés d’une société de personnes
Par contre, quand la Sarl n’est pas soumise à l’IS, par voie d’option par exemple, les revenus tirés par le gérant de son activité « salariale » sont traités comme d’un revenu propre à l’activité exercée, pour être imposée, comme pour les autres associés, entre leurs mains. En principe commercial, dans les Selarl, ses sommes peuvent être des BNC.
En application des articles 8 et 8 ter du CGI, la rémunération de l’exploitant individuel ou de l’associé – personne physique – d’une société de personnes ou assimilée non soumise à l’IS n’est pas considérée comme un salaire et doit être rapportée au bénéfice fiscal de l’entreprise ou de la société.
§.1.131 – Les membres d’un GIE
Ainsi, sont imposables dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux les rémunérations allouées par un groupement d’intérêts économiques (GIE) ayant une activité commerciale à l’un de ses membres exerçant des fonctions de direction alors même qu’il existerait un réel lien de subordination entre l’adhérent et le groupement concrétisé par un contrat de travail[11].
§.1.132 – Les copropriétaires d’une entreprise indivise
Les copropriétaires indivis d’une entreprise individuelle ont la qualité de co-exploitant et sont imposables dans la catégorie correspondant à l’activité pour la part lui revenant dans les bénéfices, même s’il n’a pas effectivement perçu les sommes correspondantes[12].
La rémunération éventuelle allouée à son conjoint peut être regardée comme un salaire, sauf si les circonstances permettent de considérer l’indivision comme une société de fait et s’il existe une étroite communauté d’intérêts entre le bénéficiaire des appointements, son conjoint et l’entreprise.
§.1.133 – Le conjoint participant à l’exercice de la profession
Son salaire n’est imposable que pour la fraction déductible du résultat fiscal de l’entreprise, c’est-à-dire :
– Pour la totalité de son montant, si l’entreprise est adhérente d’un centre de gestion ou d’une association agréé [13] ;
– À hauteur de 13.800 €, dans le cas contraire. Cette limite ne concerne que les époux mariés sous un régime de communauté[14]. La limite s’applique aussi bien au conjoint de l’exploitant individuel qu’au conjoint de l’associé d’une société de personnes ou assimilée non soumise à l’IS (des articles 8 et 8 ter du CGI).
Elle ne concerne en revanche ni les concubins ni les personnes liées par un Pacs.
Cette limite doit être ajustée prorata temporis lorsque le conjoint a commencé d’être salarié ou a cessé de l’être en cours d’année ; il en est de même en cas d’activité à temps partiel[15].
§.1.134 – Les autres membres de la famille de l’exploitant (enfant, gendre, beau-père, etc.)
Ils peuvent être des salariés de l’entreprise.
Toutefois, s’il existe une société de fait entre l’exploitant et les membres de sa famille, les sommes versées à ces associés de fait n’ont pas le caractère de salaires[16].
Par ailleurs, les membres de la famille d’un exploitant agricole qui bénéficient du statut d’associé d’exploitation agricole ont droit à une rémunération minimale qui a le caractère d’un salaire[17].
§.1.14 – Les administrateurs de sociétés anonymes coopératives de production
Les jetons de présence alloués aux administrateurs qui exercent des fonctions salariées d’ouvriers ou d’employés dans la société ont le caractère de salaires.
Dans les autres cas, ces jetons de présence ont le caractère de revenus de capitaux mobiliers.
§.1.2 – Les mandataires sociaux d’organismes autres que des sociétés commerciales
§.1.21 – Les rémunérations des dirigeants d’association
Les rémunérations des dirigeants d’une association sont imposables dans la catégorie des traitements et salaires dès lors que leur rémunération ne remet pas en cause le caractère désintéressé de la gestion de l’association. En effet, pour que la gestion présente un caractère désintéressé, l’organisme doit, notamment, être géré et administré à titre bénévole par des personnes n’ayant elles-mêmes, ou par personnes interposées, aucun intérêt direct ou indirect dans les résultats de l’exploitation.
Cela étant, seules les associations et fondations dont le montant annuel moyen des ressources (apprécié sur les 3 exercices précédents) excède 200.000 € peuvent rémunérer leurs dirigeants sans que le caractère bénévole de leur gestion puisse être remis en cause, sous réserve que les deux conditions suivantes soient remplies[18] :
– Les statuts et les modalités de fonctionnement de l’association assurent sa transparence financière, l’élection régulière et périodique de ses dirigeants et le contrôle effectif de sa gestion par ses membres ;
– La rémunération de chacun des dirigeants n’excède pas, par mois, trois fois le plafond de la sécurité sociale.
L’association peut rémunérer un, deux ou trois dirigeants selon que le montant des ressources mentionné ci-dessus excède respectivement 200.000 €, 500.000 € ou 1.000.000 €.
Toutefois, on peut noter que quel que soit le niveau des ressources de l’association, l’administration admet le caractère désintéressé de sa gestion lorsque la rémunération brute mensuelle totale versée aux dirigeants n’excède pas les 3/4 du SMIC[19].
§.1.22 – Les administrateurs des caisses de sécurité sociale et de retraite
Les indemnités (compensatrices pour pertes de gains et pour préparation de réunions) que perçoivent les administrateurs des caisses de sécurité sociale, de la mutualité sociale agricole, des caisses de retraite et des caisses d’assurance maladie-maternité des travailleurs non salariés des professions non agricoles sont imposables dans la catégorie des traitements et salaires, quelle que soit par ailleurs la nature des activités des intéressés[20].
§.1.23 – Les administrateurs d’organismes agricoles
Les rémunérations allouées aux dirigeants et administrateurs d’organismes agricoles (coopératives agricoles, caisses régionales de Crédit agricole, associations professionnelles agricoles) en contrepartie de l’exercice de leurs fonctions ont le caractère de traitements et salaires[21].
§.1.24 - Les membres des chambres d’agriculture, de métiers ou de commerce
Ils sont imposables dans la catégorie des traitements et salaires les indemnités pour perte de temps de travail, ainsi que celles perçues par les présidents et les membres élus des chambres de métiers.
Un abattement de 30 %, applicable avant la déduction des frais professionnels, est pratiqué sur leur montant s’il n’excède pas des limites fixées par arrêté[22].
Les allocations forfaitaires pour frais et les remboursements de frais sont exonérés, à l’exception des allocations forfaitaires versées aux présidents qui sont assimilés à des dirigeants[23].
§.1.25 – Les gérants de sociétés civiles de gestion
On notera qu’un gérant de Société Civile Immobilière (ou de gestion de patrimoine), non soumise à l’IS, n’est en principe rémunéré qu’au titre des profits générés par les « fruits » du patrimoine social à proportion de ses propres parts dans le capital social.
S’il perçoit une rémunération pour ses « bons et loyaux services », c’est un peu d’un « préciput » qui vient se rajouter à ses propres profits, dans la catégorie d’activité de la société (revenu foncier si la société est à dominante immobilière, revenu de capitaux mobiliers si elle est à dominante non immobilière).
Toutefois, le gérant d’une société n’ayant que peu de parts dans le capital social de celle-ci, mais percevant une rémunération pour ses « bons offices » est imposable, non comme un traitement ou un salaire, mais au titre des Bénéfice Non Commerciaux (BNC).
[1] Art. 79 et s. du CGI
[2] Art. 62 du CGI
[3] Art. 34 et s. du CGI
[4] Art. 92 et s. du CGI
[5] Art. 63 et s. du CGI
[6] Art. 1779 et 1780 du CC & ex art. L. 120-1 à L. 121-8 du CdT, L. 1111-1 et L.1211-1 d’une part et L. 12219 et L. 1222-4 d’autre part dans la nouvelle présentation du Code du Travail.
[7] Cass. soc. 29 janvier 1998, n° 433 D précité. Mais on peut aussi faire des assimilations avec les dirigeants « de fait » sans même qu’il y ait eu décision expresse des mandataires sociaux : la jurisprudence en est pleine, notamment quand il s’agit de poursuivre des responsabilités en cas de faillite, notamment frauduleuse…
[8] Doc. adm. 5 F 1113-26 à 30
[9] CE 6 janvier 1986, n° 35604
[10] BO 5 H-1-97
[11] CE 28 octobre 1981, n° 22280
[12] CE 25 juillet 1980, n° 13941
[13] Art. 154-I, 2ème al. du CGI
[14] Doc. adm. 5 F 1114-33
[15] BO 5 F-22-06, n° 14
[16] Doc. adm. 5 E 3234-9
[17] Art. 77 A du CGI
[18] Art. 261-7-1° d et ann. II, art. 242 C ; BO 4 H-5-06, 17 à 55
[19] BO 4 H-5-06, n° 40
[20] Doc. adm. 5 F 1113-34
[21] Doc. adm. 5 F 1111-53
[22] BO 5 F-8-06 ; doc. adm. 5 F 1111-21
[23] Doc. adm. 5 F1111-18 à 21